La guerre contre la drogue ?
La griffe du chien et Cartels de Don Winslow
Le choc. J’ai rarement été autant pris par une histoire. Dans celle-ci, ce qui m’a emporté, c’est le fait qu’elle relate, non pas la réalité, mais une réalité. Celle que vivent au quotidien des milliers de personnes, des deux côtés de la frontière Mexique / Etats-Unis.
L’histoire
Dans La griffe du chien, premier livre, l’action commence en 1975. Art Keller, agent de la DEA (agence américain de lutte contre la drogue) est détaché au Mexique pour faire tomber un parrain local. Il va réussir, sans vouloir vous gâcher la surprise. Mais cela n’est que la première étape d’une immense lutte de pouvoir. On assiste en effet à la naissance d’un véritable empire tel qu’on le connaît aujourd’hui : les cartels.
D’où le titre du deuxième roman, qui commence pour sa part en 2004. Art Keller tente de vivre une retraite dans un monastère mais est très vite rattrapé par ses vieux démons (amis et ennemis). Il retourne au Mexique où la situation n’a fait qu’empirer, avec l’apparition des cartels qui sont devenus de véritables états dans l’état : organisation para-militaire, moyens financiers, humains et armement démesurés, et main-mise sur les institutions locales et nationales…
Le réalisme
Don Winslow frappe très, très fort dans ses deux romans. Très documenté, basé sur des récits du quotidien tels que le « Blog d’el Narco » (attention : images violentes), l’histoire nous prend directement au ventre et ne nous lâche pas avant la « fin », si on peut appeler le dénouement une fin.
La violence quotidienne est décrite crûment et c’est terrifiant : ce sont de véritables scènes de guerre qui sont dépeintes. Sauf que les victimes sont des hommes, des femmes, des enfants, qui la plupart du temps n’ont rien à voir avec les trafics. Et les modes opératoires sont extrêmement sanglants, pour instiller la crainte et démontrer la toute-puissance et l’impunité des narcos : démembrements, décapitations, massacres de masse…
Le plus effrayant, finalement, c’est de se dire que bien qu’il s’agisse ici d’une œuvre de fiction, le degré de réalisme est tel qu’on imagine sans peine le quotidien des habitants de Juarez, Tamaulipas, Sinaloa… autant de lieux où se situe l’action des deux romans.
L’auteur est également très critique vis-à-vis des politiques anti-drogue des gouvernements, autant du côté mexicain que du côté américain. Il insiste sur le fait que s’il n’y avait pas de demande de consommateurs états-uniens, il n’y aurait pas autant de production et de transit de drogues au Mexique ! D’où, probablement, la vanité de la « guerre contre la drogue » qui a été le cheval de bataille de nombreux présidents américains depuis les années 70…
Et nos solutions sont toujours les mêmes futiles non-solution : construire de nouvelles prisons, engager plus de policiers, dépenser de plus en plus de milliards de dollars à ne pas guérir les symptômes pendant que nous ignorons la maladie.
La plupart des gens de mon quartier qui veulent lâcher la dope n’ont pas les moyens de suivre un programme de traitement, parce que la plupart ne disposent pas d’une assurance-santé digne de ce nom. Et il y a une file d’attente de six mois à deux ans pour obtenir un lit dans les programmes de traitement de substitution.
Nous dépensons pratiquement deux milliards de dollars à empoisonner les cultures de cocaïne et les enfants de cette région, et il n’y a pas suffisamment d’argent au pays pour aider qui veut arrêter sa dépendance à la drogue.(La Griffe du chien)
Si vous souhaitez compléter l’expérience, je vous recommande chaudement les films Traffic de Steven Soderbergh et Sicario de Denis Villeneuve, ainsi que la série Narcos qui retrace pour sa part l’ascension des cartels colombiens (et en particulier du premier narco-trafiquant à s’être fait publiquement connaître : Pablo Escobar).