Justice à la géorgienne
Cotton County de Eleanor Henderson
Cotton County, Géorgie, 1930. Elma Jesup, une jeune femme blanche, fille du métayer du domaine, met au monde des jumeaux. L’un est blanc, l’autre mulâtre. Accusé de l’avoir violée, Genus Jackson, un ouvrier agricole noir, est aussitôt lynché par une foule haineuse avant que son corps ne soit traîné le long de la route qui mène au village le plus proche. Malgré la suspicion de la communauté, Elma élève ses enfants de son mieux sous le toit de son père avec l’aide de Nan, une jeune domestique noire qu’elle considère comme sa soeur.
L’Amérique et ses vieux démons
Quoi de plus naturel que le racisme en Géorgie dans les années 30 ? En 1865, la loi a fait disparaître l’esclavage sur le papier mais pas dans les esprits. Le livre s’ouvre sur un fermier blanc, Jake Jesup, à la tête d’une entreprise d’alcool de contrebande, le cotton gin. Veuf, père d’une jeune femme Elma, cet homme rustre, vulgaire, violent et alcoolique abrite également sous son toit Nan, sa « bonne » noire muette de 14 ans dont la mère est morte et le père a disparu. Lorsque sa fille accouche de jumeaux, l’un blanc, l’autre mulâtre (en Géorgie, tout est possible !), Jesup accuse Genus Jackson, un ouvrier noir, de l’avoir violé et provoque son lynchage sans être inquiété. Fin de la première partie et fin de l’histoire…
Enfin, pas tout à fait… La deuxième partie va réserver son lot de surprises : les jumeaux ne le sont pas vraiment, Elma épouse un jeune médecin, le docteur Rawls, et emménage avec lui, Nan et les deux bébés, Jake Jesup est poursuivi en justice, et le père de Nan réapparaît. Après de multiples rebondissements, la fin étonnante va révéler de sombres secrets de famille…
Ecrivain au scalpel
Au terme de 640 pages d’une atmosphère nauséeuse, difficile de refermer ce livre non sans émotion. Entre l’espoir et le désespoir, le sordide et le sublime, la modernité et l’archaïsme, les rires et les larmes, la haine et l’amour, ce roman de contrastes est à l’image même de cette société ségrégationniste. Eleanor Henderson maîtrise parfaitement son sujet même si le rythme est un peu lent. La lecture demande également de gros efforts de concentration du fait de nombreux flash-backs. En revanche, l’écriture classique donne une âme à tous les personnages qui souffrent, mentent, se déchirent, boivent, puent, aiment ou violent impunément… Un livre magistral et une nouvelle voix dans l’univers littéraire américain qui sait se faire entendre ….