La Guerre en plein coeur
Retour au Kosovo, de Gani Jakupi (Scénario) et Jorge González (Dessin et couleur)
La guerre du Kosovo est mon premier souvenir de guerre. Des avions de combats, des lumières de tirs dans la nuit, des explosions.
J’avais déjà 12 ans en 1999 et mes parents ont exceptionnellement allumé la télé, le soir avant de manger, pour découvrir les premiers bombardements en direct des avions de l’OTAN et leurs « frappes chirurgicales ». Un bout d’Europe était en flamme.
J’en retins que ce fut un succès, sans bien en comprendre les raisons et que Milosevic fut jugé, puis emprisonné.
La déchirure d’un pays
Cette BD, est à la fois un reportage et le témoignage de cette même personne, Gani Jakupi, dessinateur, journaliste, photographe, compositeur de jazz, né au Kosovo sous Tito en 1956.
« Qui aura partagé son agonie aussi généreusement que cette Yougoslavie qui ne cesse de mourir ?! Antan, objet de fierté, aujourd’hui, tout espoir repose dans sa disparition. »
Gani Jakupi, Prologue.
Gani travaille comme journaliste entre Barcelone et Toulouse. Il est en vacances, quand l’armée Yougoslave Serbe déclare la guerre à l’armée de libération du Kosovo, petite entité territoriale composée majoritairement d’une population d’origine albanaise et musulmane.
Entre bribes de témoignages sur les exactions, retranscription des tergiversations diplomatiques à l’ONU et manifestations pour la paix, il nous raconte cette souffrance de l’exilé, loin de ses proches, de sa terre. L’absence de nouvelles de ses parents, restés sur place, précipitera son départ.
Plusieurs voyages, à travers l’horreur, l’espoir, la joie, la souffrance, mais toujours à hauteur d’homme. La parole comme un livre ouvert sur ce Kosovo où des voisins se sont entre-tués du jour au lendemain, comme en Croatie et en Bosnie en 1992 ou au Rwanda en 1994. Si les villes paraissent oublier plus vite, se reconstruisent plus vite, l’empreinte hante les campagnes abandonnées.
Au travers, son parcours, à travers son pays et des témoignages de ceux qu’ils rencontrent, Gani y redécouvre aussi son pays, son histoire personnelle, ses racines.
Un argentin pour la mémoire
La force de ce témoignage ne saurait être aussi bien retranscrite dans sa fragilité, sa souffrances et ses hésitations sans le dessin perturbant de Jorge González. Ce dessinateur atypique s’est fait maître de la retranscription des mémoires.
En témoigne son superbe album Chère Patagonie, son reportage Les derniers jours d’Allende publié dans le premier numéro de la Revue Dessinée (disponible à la médiathèque, on adore,!) ou encore le texte Je t’embrasse Ruso sur son grand père, publié sur le site web de la Revue XXI (autre revue qu’on adore, disponible à la médiathèque !).
Chaque dessin est un tableau torturé, sans lignes précises et définies, que la craie grasse recouvre de couleur contrastées. Comme si dotait d’une vie, il échappait à son auteur , vivait et sortait des cadres. Nébuleux, indéfinis, il frappe pourtant avec une incroyable précision.
Ils laissent place à l’intelligence du lecteur d’y trouver une signification, d’en comprendre la complexité illustrée, car à l’image du style graphique de Jorge González, la mémoire et les souvenirs sont ainsi faits…
Pour aller plus loin découvrez le court-métrage documentaire, avec interviews et témoignages autour du roman graphique « Retour au Kosovo » :