Réparer le vivant
Le lambeau de Philippe Lançon
Blessé grièvement lors de l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, Philippe Lançon raconte sa lente reconstruction physique et mentale. Il y a eu un avant. Il y aura un après.
Retour vers la vie
7 janvier 2015, 11 h 25 : deux tueurs pénètrent dans les locaux de Charlie Hebdo et provoquent un carnage. Au terme de cette « mortelle randonnée », ils laisseront 12 morts et 11 blessés dont l’auteur de ce livre, Philippe Lançon, journaliste à Libération et à Charlie Hebdo.
Touché à la mâchoire, aux bras et aux jambes, il entame deux mois d’hospitalisation à la Pitié-Salpêtrière suivi d’un long séjour de rééducation aux Invalides. Enfermé dans sa chambre comme le héros du livre « voyage autour de ma chambre » auquel il se compare, l’auteur décrit son univers dans lequel se succèdent le personnel soignant, sa chirurgienne Chloé, les policiers chargés de sa sécurité, ses amis, sa famille, sa copine et son ex-femme. Désormais pour lui, son existence tourne autour de trois mondes : le monde du dehors, le monde « d’en bas » qui fait référence au bloc opératoire où il séjourne fréquemment, et son propre monde où cohabitent souffrance et morphine.
Au fil du temps, la chambre se transforme en une sorte de cocon dans lequel s’invitent la musique et la littérature. Les mots de Kafka, Mann, Baudelaire et quelques autres accompagnent le patient dans son parcours jalonné d’épreuves. La bande son se compose essentiellement d’oeuvres de Bach qui vont même trouver leur place au bloc opératoire au cours d’une intervention délicate et douloureuse. Les progrès sont difficiles mais petit à petit, le lent chemin vers le monde du dehors se précise : le patient sort, « dîne » chez des amis, visite des musées, des expos, et commence à rédiger des articles pour Libération jusqu’au retour chez lui et à « sa vie d’avant » à l’automne 2015.
Naissance d’un écrivain
Après 500 pages hypnotisantes au style éblouissant, difficile de refermer un tel livre et de retourner ensuite dans la banalité rassurante de son quotidien. On ressort KO de cette lecture marathon, qui, à travers le combat d’un homme, rend hommage à un système hospitalier parfois à bout de souffle et à son personnel dévoué et compétent. Quant à l’auteur de sa propre fiction, à savoir Philippe Lançon, on reste admiratif devant son acceptation face à ce cataclysme qui a bouleversé sa vie et son absence de haine face à ses bourreaux. Un livre puissant qui marquera sans doute la littérature.