Sorcerer ou le destin d’un film maudit
Sorcerer, de William Friedkin
Alors que je n’arrivais pas à enregistrer ma critique et que je la réécrivais pour la troisième fois d’affilée, comment ne pas penser au destin maudit et aux anecdotes tragiques du tournage de ce film… jusque dans notre site web !
Synopsis : Quatre étrangers de nationalités différentes, chacun recherché dans son pays, s’associent pour conduire un chargement de nitroglycérine à travers la jungle sud-américaine…
Un voyage au cœur des ténèbres…
Un film, une histoire
Nous sommes en 1975 quand William Friedkin commence son projet d’adapter librement le célèbre film d’Henri-George Clouzot « Le Salaire de la peur » ( 1953), tiré lui-même du livre éponyme de George Arnaud (1950).
Il est alors avec son rival, Francis Ford Coppola, l’un des réalisateurs star d’Hollywood après les succès de French Connexion (1971) et surtout de L’Exorciste (1973), qui a traumatisé toute une génération d’adolescents.
Les droits récupérés, le scénariste Wallon Green écrit un scénario dont Steve McQueen dira que c’est l’un des meilleurs qu’il ait lu. « Tu te feras assassiner, ton équipe se fera assassiner et personne ne voudra assurer ton film. » Un producteur à W. Friedkin
Néanmoins, le tournage prévu en Equateur, où la guerre civile vient d’éclater, inquiète les producteurs de la Paramount qui voit aussi le budget décoller de 2 à 10 millions de $. Pour pallier cela, la Paramount s’associe avec Universal qui va pousser pour que le tournage ait lieu en République Dominicaine.
Friedkin est sur un pont…
Et c’est le casting qui va annoncer la couleur. Steve McQueen, enchanté par le scénario, veut imposer sa nouvelle femme au casting. Mais devant le refus de Friedkin (qu’il regrettera plus tard), il se retire et avec lui, entraîne le retrait de Lino Ventura.
« Je ne savais pas, à l’époque, ce que j’avais compris ensuite : un gros plan de Steve McQueen vaut plus que les plus beaux paysages de la planète. » William Friedkin
Marcello Mastroianni, alors jeune papa, voit le refus de sa femme Catherine Deneuve de partir avec leur jeune fille aussi longtemps dans la jungle.
Finalement, seul Amidou reste et sera rejoint par Roy Sheider, Bruno Cremer (l’inspecteur Maigret himself) et Francisco Rabal.
Le tournage commence enfin, et l’on prépare le décor d’une scène culte du film. Les techniciens construisent pendant 3 mois un pont pour 1 millions de $. Manque de chance, au moment du tournage, la rivière s’assèche… Impossible de tourner.
Départ pour le Mexique pour recommencer près d’un village Aztèque, que les locaux ont déserté par superstition, devant le réalisateur de l’Exorciste. De nombreux déboires plus tard (la rivière choisie, s’est à nouveau asséchée…), le pont est terminé et l’on peut tourner.
Résultat, juste pour la scène du pont, 3 millions de $ pour 12 min de film et déjà 25 kg de perdu pour le réalisateur, qui terrorise ses équipes…
Alors qu’une grande partie de l’équipe de tournage est déjà malade, des agents du gouvernement mexicain somment Friedkin de renvoyer les membres de son équipe soupçonnés d’usage de drogues. La moitié de l’équipe technique est renvoyée aux Etats-Unis…
Le côté sombre de la force…
De fait, le tournage prend plusieurs mois de retard et explose le budget initial (on en est déjà entre 15 et 20 millions de $) mais les studios restent confiants devant des prévisions de recettes d’au moins 100 millions de $). Les images finissent par être mises en boîte et Friedkin lui-même va s’occuper du montage sur une musique du groupe Tangerine Dreams.
Le 24 juin 1977, le film sort enfin…

« Hey le jedi ! Pousse toi de là ou je t’écrase ! »
Devant un chef d’oeuvre annoncé, les critiques sont pourtant mitigées et surtout, le succès d’un « petit » film va pousser les cinémas à revoir leurs programmations et à retirer rapidement Sorcerer des circuits. Ce « petit » film ? Star Wars...
Lâché par ses producteurs, Friedkin, atteint de la malaria, s’exile à Paris… Devant la frilosité de l’accueil public et de la critique, les producteur reprennent la main, refont le montage et retirent une demi heure au film. Il faudra attendre la restauration et la sortie en DVD en 2015 pour le revoir dans sa version intégrale, originelle et restaurée.
Du film maudit au Festival des Maudits films
La redécouverte récente du film souligne, avec le recul, la virtuosité du réalisateur dans un film total. Il marque aussi la fin d’une époque et d’une génération de réalisateurs, où le tournage en conditions réelles pour accentuer l’effet de réalisme donne lieu à des tournages chaotiques et dantesques, comme le connaîtra aussi Coppola pour son mythique Apocalypse Now (1979).
En face, une nouvelle génération s’impose, George Lucas et Steven Spielberg en tête, avec des tournages en studio, beaucoup moins dangereux et aléatoires, présageant les effets spéciaux numériques actuels.
Pour ma part, j’ai eu la chance de voir ce film au cinéma à l’occasion du (fantastique) Festival des Maudits Films de Grenoble, pour l’unique projection iséroise (pour le moment en tout cas).
Je pense que toute la salle entière est restée scotchée à son siège devant la maîtrise constante du suspens et de l’ambiance extraordinaire (on a l’impression de suer dans la moiteur de la jungle).
Un film longtemps oublié, mais un chef d’oeuvre unique de l’histoire du cinéma !